Après la peur et les difficultés de la montée, le sentiment de liberté donné par le fait d’être enfin en Espagne se heurtait vite à la réalité d’une descente périlleuse sur une pente herbeuse, parfois couverte de neige. Michel Poniatowski (cf à la Cuarde) raconta ainsi son chemin le 1er décembre 1943 :
« La descente, en apparence facile, ne l'était pas. La neige recouvrait de manière égale des éboulis de pierres et de rochers. Nous glissions, nous patinions et nous nous tordions les chevilles. La marche était ponctuée de cris de surprise quand la neige cédait soudain et que le pied venait buter douloureusement sur un roc. Soroko (né en 1897) avançait en gémissant, guidé par son frère et soutenu par sa belle-sœur ou par l'un de nous… Une heure après, nous parvînmes à un alpage où la neige, toute lisse, ne cachait plus de traîtrise. La pente était suffisamment forte pour que, en nous asseyant sur nos talons ou notre fond de culotte, nous puissions glisser sans fatigue. Georges Soroko, cependant, donnait des signes d'épuisement de plus en plus inquiétants. Nous l’avions assis sur un manteau qui faisait office de luge et avancions en le tirant et le retenant à la fois. Ebloui par le soleil sur la neige, il ne voyait plus. Il murmurait tout doucement en une plainte chantée à lui-même: « Je suis aveugle, je suis aveugle. » Un peu plus tard, il dit de la même manière : « Mon cœur, mon cœur » ; et, enfin : « Arrêtez, arrêtez, je vais mourir. » Et il est mort, comme cela, en étreignant la main de son frère, avec ce seul mot d'adieu pour lui : Go on. »
Michel Poniatowski, Mémoires, édition du Rocher, 1997.
Les douaniers de la Casa de la Mina avaient pris l’habitude de voir arriver ces clandestins. Après une fouille, où souvent pesetas et fromages étaient réquisitionnés, ils offraient à boire du vin épais et fort, voire de la soupe quand les passages n’étaient pas trop nombreux. Trop épuisés pour effectuer le chemin jusqu’au premier village, les fugitifs passaient la journée à la Mina avant d’être conduits à la prison de Hecho.