Renaud de Changy continue son récit, commençé dans le POI précédent, Lurbe Saint-Christau :
« "La lune se lève, nous partons" déclare Tino, notre guide. Serré et souple dans son équipement de route, l'oeil noir et vif, le béret sur l'oreille, il s'impose à tous, malgré ses vingt ans. Une mitraillette qui lui barre la poitrine nous rappelle qu'après tout, cette promenade au clair de lune, a un cachet très spécial.
A pas de loup, le long serpent de notre caravane se coule sans bruit dans l'herbe silencieuse des fossés, jusqu'à la sortie du village. Nous rejoignons la voie de chemin de fer que nous suivrons pendant presque toute la nuit. Il est dix heures. Si tout va bien, nous devons arriver vers six heures du matin au terme de cette première étape. Vers minuit, nous rejoignons une caravane convergeant d'une autre vallée. Elle est composée uniquement d'Anglais et d'Américains, aviateurs pour la plupart. Tandis que les guides discutent de la voie à suivre, de l’horaire et des déplacements probables des patrouilles, les deux groupes font connaissance. Plusieurs d’entre nous parlent anglais, à la grande joie des Américains qui nous racontent leurs récentes aventures. « Les jours les plus terribles de mon existence, me confie l’un d’eux. Traqués de vallée en vallée, pendant cette dernière semaine, nous n'avons guère pris de repos, mangeant à peine, toujours sur le qui-vive et si mal équipés ! »
Les pauvres gens, en effet, n'ont que les vêtements reçus au hasard des rencontres : manteaux trop étroits, pantalons trop courts, chaussettes en lambeaux, souliers trop petits d'où dépassent les orteils.
La file, déjà longue, a doublé ; nous sommes maintenant vingt-trois à déambuler cahin-caha le long du rail. Il semble que nous faisons un bruit d'enfer dans cette vallée endormie. Chaque caillou qui roule me déchire l'âme de ses échos sonores. A tout instant, l'un ou l'autre bute sur une pierre trop haute, accroche un boulon de rail ou glisse sur les taques luisantes des petits ponts de fer, de plus en plus nombreux. Comment ne pas éveiller l'attention des guetteurs en alerte, que j'imagine embusqués dans chaque fourré ? ».
Renaud Carpentier de Changy, It’s a long way to go…, Inédit, archives Louis Loustau-Chartez